L'origine des formes de l'impératif


Pas de s pourquoi ?

Les désinences de l'impératif présent se distinguent de celles de l'indicatif présent par l'absence d'un -s à la deuxième personne du singulier de certains verbes.

    Cette absence est d'abord due à la forme latine d'origine.
— Indicatif présent : cantas, tu chantes.
— Impératif présent : canta, chante.

Le latin ne connaissait pas de s dans les conjugaisons de l'impératif, contrairement à celles de l'indicatif.

1re conjugaison : ama, amate
2e conjugaison : dele, delete
3e conjugaison : lege, legite
4e conjugaison : audi, audite
Conjugaison mixte : cape, capite.

On constate que les formes des 2es personnes singulier et pluriel du français moderne sont en fait calquées sur celles de l'indicatif, sauf dans les verbes terminés par un e muet à la deuxième personne et pour le verbe aller. Normalement amate ne doit pas donner aimez.

Un s qui joue à cache-cache

Le s de l'indicatif s'est maintenu à l'oral comme à l'écrit jusqu'au XVIIe s. Donc canta donne chante. C'est la règle, la véritable absurdité vient des verbes du troisième groupe où le -s est analogique : on devrait écrire vien, pren, met. Cette lettre s'est étendue dès le XIIe s., y compris aux verbes du premier groupe jusqu'à ce qu'une rectification soit faite : on pouvait écrire
« gardes » (Roman de la Rose, 2097, 2238). On retrouve encore ce -s à l'oral dans les formes familières afin d'éviter des hiatus : parles-en, cherches-y (que l'on peut aussi écrire dans un style relâché : parle-z-en, cherche-z-y). Pourquoi les verbes sans s prennent-ils cette désinence devant un pronom comme dans vas-y, achètes-en ? La forme n'est pas seulement euphonique. C'est une continuation de l'analogie qui s'est exercée sur les verbes du troisième groupe. Normalement les premières personnes du singulier de l'indicatif présent des verbes du troisième groupe ne devrait pas avoir de -s, mais cet usage-ci a entraîné cet usage-là. L'emploi des formes sans -s au troisième groupe est minoritaire jusqu'au XVIe s, après quoi il se généralise.

Pour la plupart des verbes sont actuellement du troisième groupe, le s est en fait un ajout en ancien français, ils ne prenaient pas d's, cette lettre ne s'était jamais prononcée.
— Latin, vende, ancien français vent, français moderne vends.
Dormi => dorm => dors.
Bibe => boif => boi => bois.
Dic => di => dis.
Audi => o => ouïs.
Collige => cueil => cueille. La terminaison avec un e est analogique des verbes du premier groupe.
L'ajout du -s de la désinence est analogique des formes de l'indicatif, notamment celles des verbes où le s est issu du radical. L'ajout du s se développe à partir du XIIIe s., il ne deviendra majoritaire qu'à partir du XVIe s.

Un certain nombre de verbes du troisième groupe se construisent donc sans -s : cueillir et ses dérivés (recueillir, accueillir), offrir, ouvrir (entrouvrir, rouvrir), couvrir (découvrir, recouvrir, redécouvrir), offrir, souffrir, tressaillir, assaillir, défaillir.

En revanche, le -s est étymologique dans les verbes du deuxième groupe issus de formes inchoatives :
*Finisce => fenis => finis.
Le s appartient au radical du verbe. C'était aussi le cas d'autres verbes comme naître (nascere), croître (crescere), connaître (*conoscere).

Les émigrés du subjonctif

Ajoutons cinq verbes fréquents qui empruntent leurs formes au subjonctif : être (soie, puis soies, sois), avoir (aies, puis aie), savoir (saches, puis sache), vouloir (vueille, puis vueilles, veuille), faire (face, faces, puis fasse), puisse (puisses) inusité pour ce dernier. Seul le verbe être s'aligne sur les 2e et 3e groupes sans doute pour des raisons phonétiques, et non d'homophonie et d'étymologie avec sis : le e a disparu avant le s de l'oral. Ces verbes possèdent en commun une valeur d'exhortation qui a permis de les détacher du mode subjontif

verbe
Impératif latin
Subjonctif latin
Impératif d'ancien français
Impératif moderne
être (esse)
es
sis
soies
sois
avoir (habere)
habe
habeas
aies
aie
savoir (sapere)

sapias
saches
sache
vouloir (velle)
inexistant
velis
vueilles
veuille (veux)
 
 
Les radicaux de ces quatre verbes sont différents de ceux des autres impératifs. Mais les désinences ont été refaites. Le verbe être a très tôt perdu son e. Quant aux autres verbes, ils ont été alignés sur ceux du premier groupe.

Reste un cas particulier : aller. Son impératif va est issu d'un raccourci de vade (vadere, « aller » en bas-latin) sur le modèle de da (dare, « donner »).

Des va-et-vient

Pour aller, on a affaire à l'un des verbes les plus irréguliers qu'il soit possible. Ses conjugaisons empruntent à trois étymons différents, mais surtout il ne suit aucun schéma logique et ne se range dans aucune famille. Enseigner sa conjugaison à part n'est pas plus absurde que pour celle d'être qui possède au moins quatre bases différentes. Ce verbe qui est l'un des plus fréquents est donc aussi l'un des plus attaqués par la conjugaison : la forme vaz est présente dès le XIe s. Comme ce verbe est souvent employé avec des pronoms, on doit éviter aussi l'hiatus : vas-y mais simplement va. C'est donc un usage familier, par le souvenir d'une forme ancienne, qui a été intégré à la langue traditionnelle et non une absurdité des grammairiens.

Malheureusement l'on confond l'emploi euphonique d'un t de liaison dans un va-t-en guerre, ou Malbro s'en va-t-en guerre (l'expression rentre dans une phrase de type déclaratif) et le pronom élidé de va-t'en (la phrase est de type impératif et donne au type déclaratif tu t'en vas) qui appartient à la construction de s'en aller et non d'aller.

 

Conjuguer... Mais comment ?

Le plus simple consiste à prendre d'abord les verbes irréguliers qui prennent tous un s à la 2e personne du singulier :

2e conjugaison, type finir : finis.

3e conjugaison, pas de problème... L'ancien français avait dorm, boif, tien... C'est plus facile... Il y a un s partout ou presque.

— Cas général : seul le s subsiste dans écrire, dire, mentir : écris, dis, mens.

— Les verbes de la famille de vaincre gardent le c du radical convaincre convaincs.

— Des verbes conservent un t du radical vêtir, vets, mais aussi les verbes en -tre comme battre bats, mettre mets. Seulement les verbes en -ître ne sont pas concernés : paraître parais, croître crois.

Rompre et ses composés interrompre, corrompre préservent le p du radical : romps.

— Les verbes en -dre conservent le d du radical : coudre couds, répandre répands, tondre tonds, mordre mords, perdre perds, prendre prends, moudre mouds.

Exceptions : les verbes en -indre qui perdent la lettre du radical craindre crains, peindre peins, joindre joins. Et ceux en -soudre : résous que l'on ne confondra pas avec les verbes finis par -oudre.

Je ne parlerai pas de 1re conjugaison, mais de verbes terminés par un e muet et qui ne prennent pas de s à la 2e personne du singulier :

— tous les verbes dont l'infinitif se termine par -er, sur le modèle chanter chante ;

— des verbes du 3e groupe qui ont une conjugaison identique au présent à celle des verbes en -er : cueillir et ses composés cueille, défaillir défaille, tressaillir tressaille, souffrir souffre, ouvrir ouvre, offrir offre.

— les verbes dont les conjugaisons de l'impératif viennent du subjonctif : savoir sache, avoir aie, faire fasse.

 

Et maintenant les exceptions réelles !

— Les verbes asseoir et rasseoir possèdent deux conjugaisons assieds et assois. Mais surseoir ne forme que sursois.

— Valoir donne vaux, vouloir se conjugue en veuille ou en veux.

Exercice d'application : explique pourquoi Franquin n'a pas commis d'erreur de conjugaison dans la bulle de Gaston.

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